Jʼaimerais partager avec vous une partie de mon histoire qui permet de mieux comprendre pourquoi lʼexistence de lʼorganisation Tsorea est si chère pour nous.
Je suis né dans un petit village du sud du Bénin dans les années 80. À lʼépoque, la plupart des naissances dans les zones reculées comme la nôtre avaient lieu à la maison et non à lʼhôpital. Cʼest ainsi que ma mère a accouché un mercredi soir dans le champ derrière notre maison. À ma naissance, je ne réagissais pas. Jʼai alors été mis dans une boîte de carton pour lʼenterrement. On creusait ma tombe quand un chasseur du village à eu lʼidée de tirer un coup de fusil en lʼair. Enfin, jʼai réagi. Jʼai ainsi échappé à un enterrement vivant.
Je suis le dernier dʼune fratrie de cinq. Au décès de mon père en 1992, jʼétais au CM2 (6 ans de scolarité). Le jour du décès de mon père, ma mère a fondu en larmes. Je me souviens de cette phrase quʼelle a prononcée en me regardant dans les yeux. « Comment je vais pouvoir vous élever? ». En effet, le seul pourvoyeur de la famille venait de décéder.
Suite au décès de mon père en 1992, ont commencé les années difficiles de ma vie. Mon frère aîné à lʼépoque avait 25 ans. Dans les circonstances, il lui revenait de mettre de côté ses priorités afin de pourvoir aux besoins de la famille (surtout mon frère qui me précède et moi) qui étions encore sur les bancs dʼécole. Mais notre frère aîné ne pouvait indéfiniment sʼoccuper de nous seul. À un moment donné, il nous revenait de voler de nos propres ailes. Mais, il nʼétait pas question dʼabandonner les classes, car pour notre père, il était très important de poursuivre nos études le plus loin possible afin de maîtriser ce quʼil nʼa jamais pu comprendre dans sa relation avec le colonisateur.
Nous avons alors rejoint notre frère aîné qui vivait à Dangbo (ville natale de ma mère) une petite ville située à une quarantaine de km de notre village natal. Une nuit, des voleurs ont volé notre bicyclette qui nous permettait de relier Dangbo à notre village pour les ravitaillements alimentaires. Nous devions maintenant parcourir les 40 km à pied chaque fin de semaine. La première fin de semaine qui a suivi la disparition de notre vélo, jʼai été marqué par un événement. Nous faisions du pouce pour rentrer au village quand une voiture taxi sʼest arrêtée. Nous avons demandé au chauffeur sʼil pouvait nous dépanner. En réponse, il a craché dans notre visage. Il était fâché que nous lʼayons arrêté pour demander un transport gratuit.
Après deux ans à Dangbo, nous avons demandé un transfert scolaire à Adjohoun, une petite ville plus proche de notre village (10 km). Je devais revenir les fins de semaine pour me ravitailler en ressources alimentaires. Notre maman faisait tous les efforts nécessaires pour quʼau moins, les aliments à lʼétat brut (maïs, haricot, noix de palme, du fagot, etc.) soient disponibles, mais il manquait la liquidité pour les transformer (ex. : moudre le maïs, payer de lʼhuile de cuisson). Comme jʼétudiais dans une série scientifique, je nʼhésitais pas à sacrifier les matières littéraires afin de travailler comme manœuvre dans les champs pour me procurer de la liquidité nécessaire pour transformer les aliments, payer les fournitures scolaires et mes frais de scolarité.
En 1998, mon frère préparait son examen dʼentrée à lʼuniversité, il ne pouvait plus mʼassister dans les travaux de manœuvre au champ, cette année a été ma pire année scolaire. Je lʼai réussie, mais sur la peau des fesses, car la moitié du temps, je nʼétais pas à lʼécole. Jʼétais ouvrier dans les champs de maïs, de maniocs ou de patates pour assurer la survie de mon frère et moi et les autres frais scolaires. Certains professeurs ont compris ma réalité et se sont résous à lʼidée de mʼadmettre aux examens quoique je fusse très souvent absent en classe. « Entre deux maux, il faut choisir le moindre ». Abandonner carrément les classes ou se présenter juste pour les examens.
Nos efforts ont commencé à porter du fruit. Cette année-là, mon frère a passé avec succès son examen dʼentrée à lʼuniversité et le très sélectif concours dʼentrée en médecine qui nʼétait réservée en majorité quʼaux descendants de certains élites béninois. Ainsi, avec ses allocations universitaires, il pouvait mʼassister et je pus consacrer du temps à mes études jusquʼà la maîtrise en psychologie du travail et des organisations que j’ai complétée tout en travaillant comme enseignant de physique chimie au secondaire jusquʼen 2007 où jʼai rencontré mon épouse avec qui je partage ma vie au quotidien. Ensemble, nous apprenons à découvrir la richesse humaine sur des fonds de dissemblances et de ressemblances.
25 ans plus tard, cette réalité de la précarité des femmes et des enfants demeure actuelle au Bénin pour une grande partie de la population. C’est pourquoi l’organisation Tsorea se donne comme mission de contribuer à l’autonomisation des individus par la transformation des ressources accessibles.
Les expériences quotidiennes de la vie ont forgé ma personne et me permettent de grandir, dʼapprendre davantage et de tirer le meilleur des différences et des similitudes humaines. Jʼai le privilège dʼêtre souvent entouré de bonnes personnes et par-dessus tout, je sais que ma vie est entre les mains de Dieu.